Rue Pouchkine

Pascale Bastianelli

Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous.

Paul ELUARD

Ce n’est pas par hasard qu’en 1968, j’ai choisi russe comme deuxième langue en 4ème dans mon lycée de l’Allier. Mes amis russes vous diraient que j”ai été russe dans une précédente vie, que mon attachement à leur pays ne peut s’expliquer autrement. Et pourtant,  je l’ai découvert à une époque, où il ne faisait pas preuve d’un enthousiasme débordant à nous accueillir… On avait, à l’aéroport de Moscou, plus l’impression face aux visages fermés qui vérifiaient nos passeports et nos visas, que nous avions commis un grave délit et allions finir en prison. Et, vous voyez, moi qui n’avais pas 15 ans quand, en 1971 j’y suis allée pour la première fois, je ne m’y suis jamais sentie étrangère… même si nous sentions fortement à l’époque la présence d’un mur et d’une frontière lourdement réelle!
En tout cas, presque 50 ans plus tard, je ne sais ce qu’aurait été ma vie, si j’avais choisi allemand ou espagnol à l’école. Une chose est sûre aujourd’hui : la Russie aura été et reste mon fil de vie, elle a toujours été là, rien ne s’est jamais fait sans elle, et  je n’ai jamais tenu très longtemps loin d’elle. 

MON HISTOIRE AVEC LA RUSSIE …

Mon histoire avec la Russie, je l’ai vraiment démarrée en juillet 1971 sur un grand marché kolkhozien de Moscou,
Novié Tcheriemouchki – Новые Черёмушки : Une femme d’un certain âge était assise sur une caisse, elle vendait du chou aigre et des œufs peints en bois. Je me suis approchée d’elle et lui ai demandé dans mon russe débutant combien coûtaient ses oeufs. Elle m’a regardé et m’a demandé ; ” D’où es-tu? Откуда Ты?” A l’époque, nous les étrangers, nous étions habillés, coiffés, maquillés si différemment des russes, qu’il était très aisé de nous repérer de loin. Quand je lui ai répondu que j’étais française, son visage s’est soudain métamorphosé, illuminé. Elle a rajeuni de 10 ans , je n’ai pas compris ce qui se passait, j’ai encore ses yeux et son sourire dans ma mémoire. Et là, elle s’est mise à me parler dans un français magnifique… celui des héros qui avaient bercé son enfance, les Trois Mousquetaires, le Père Goriot, Jean Valjean. Elle parlait très vite, elle m’a raconté qu’elle avait été élevée par une gouvernante française dans une famille aisée et qu’elle avait grandi dans cet amour de la France, de sa culture et de sa langue en rêvant d’y aller un jour. Vous imaginez bien que l’Histoire ne lui en donna pas l’occasion!! Elle se mit à regarder à droite, à gauche et me dit triste ” Vas-y maintenant!” A l’époque parler aux étrangers n’était pas recommandé. Elle avait du voir que des ”gens” s’approchaient d’elle. Avant que je ne la laisse, elle m’a dit ” Dis bien bonjour à Paris pour moi,” Je revois encore ses yeux qui riaient et pleuraient à la fois.
Désormais, je sais à quel point cette rencontre a bouleversé ma vie. J’ai voulu comprendre ce qui venait de m’arriver. Le pays ne m’avait pas totalement emballée, trop austère, trop gris, trop froid. Et pourtant, en rentrant j’ai dit à mes parents que j’y retournerai.
Et c’est ce que j’ai fait.

50 ans d’histoire d’amour

Je crois qu’aujourd’hui, après 50 ans d’histoire d’amour avec la Russie, de très, très nombreux voyages dans ce pays, plus de trois ans de vie non-stop sur place, un total changement de vie il y a 20 ans pour promouvoir la culture russe en France et en Europe, j’ai enfin compris…
Je n’ai jamais oublié ma grand-mère russe, ma babouchka rencontrée sur ce marché moscovite, je ne l’ai jamais revue, mais je ne l’ai jamais quittée. Depuis 1985, année où les portes se sont ouvertes, où les premiers amis russes ont pu venir en France, chaque fois que je les regardais découvrir Paris, s’émerveiller devant la Tour Eiffel, Notre-Dame, le Sacré Cœur, j’ai eu une pensée pour elle, elle qui parlait si bien de la France. J’espère de tout cœur que la vie lui a offert la chance de voir Paris avant de mourir.
Si je pouvais ”rembobiner”, comme souvent ma fille me le demandait, j’irais retrouver ma ”babouchka”, la prendrais dans mes bras et lui dirais :
”Tu sais, je ne t’ai pas oubliée ! Raconte moi encore ton enfance,
Cette petite fille qui rêvait de France”

Mon pays de coeur

Je crois que toute ma vie, à ma façon, dans mes choix, mes créations, mes expositions, j’ai cheminé à la recherche de son enfance à elle. En tout cas, je suis heureuse d’avoir partagé bien plus que ce rendez-vous de juillet 1971 avec elle.
A sa manière, elle m’aura permis de trouver mon harmonie.
J’aime tellement parler de ma Russie, la faire découvrir, la mettre en scène, j’aime tellement qu’on l’aime, la comprenne, la connaisse vraiment. Je suis heureuse de l’avoir choisie, elle est mon pays de coeur, je m’y suis évadée, elle m’a aimée, dépaysée, bousculée, émue. Mon premier rendez-vous avec la Russie date sans doute d’une précédente vie, et je suis chanceuse, fière aussi d’avoir pu boucler tant de boucles de vie avec elle. C’est tellement précieux de comprendre pourquoi nous sommes à un endroit, pourquoi nous faisons les choses… je me souviens qu’au cours de certains de mes voyages en Russie, en Union Soviétique à l’époque, je me disais ” Pourquoi tu achètes cet objet, tu vas en faire quoi???” et j’ai compris bien plus tard pourquoi j’avais fait ce détour, cette dépense; tous ces objets ont, en effet, trouvé leur place dans ma galerie, mes expositions; je me revoyais les acheter, les trouver en me disant ” Tu vois, tu savais!”.
Toutes ces années m’ont permis de donner un sens à ma vie; sans le savoir, je n’ai rien fait par hasard, mais par amour… et c’est tellement précieux.

J’espère pouvoir partager ma passion avec vous, et surtout vous révéler les talents de tous ces artistes russes, que la vie m’a donné de rencontrer: leurs créations vous feront voyager, rêver, vous émerveiller…

J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. ARTHUR RIMBAUD

A nous, à vous de tout faire pour que ces artistes continuent à créer des merveilles uniques, originales, authentiques, à en vivre bien, et ainsi à ne jamais vendre leur âme! Comme je me dis souvent, quand j’arrive chez eux et vois les nouvelles pièces créées : ”Tant que de tels artistes existent, il ne peut rien nous arriver.”